1
J'étais prêtre d'Amon-Râ dans son temple de Thèbes.
2
Mais Bacchus vint chanter escorté de ses troupes de filles vêtues de pampre, de filles en noires pèlerines; et Bacchus au milieu d'elles tel un faon !
3
Dieu ! comme je me ruai dehors, fou de rage, et dispersai le choeur !
4
Mais dans mon temple demeura Bacchus, prêtre d'Amon-Râ.
5
Alors je gagnai dans l'enthousiasme l'Abyssinie en compagnie des jouvencelles; et là nous restâmes et nous réjouîmes.
6
À l'extrême; oui, en vérité !
7
Je mangerai le fruit mûr et le fruit vert à la gloire de Bacchus.
8
Des terrasses d'ilex, et des gradins d'onyx, d'opale et de sardoine menant au porche de malachite vert et frais.
9
À l'intérieur, une écaille cristalline dont la forme évoquait celle d'une huître - Ô gloire de Priape ! Ô béatitude de la Grande Déesse !
10
Dedans se trouve une perle.
11
Ô Perle ! tu es issue de la majesté du redoutable Amon-Râ.
12
Puis moi, le Prêtre, je remarquai un scintillement ininterrompu au coeur de la perle.
13
Si brillant que nous ne pouvions regarder ! Mais vois ! une rose rouge sang sur un crucifix d'or incandescent !
14
Alors adorai-je le Dieu. Bacchus ! tu es l'amant de mon Dieu !
15
Moi qui étais le prêtre d'Amon-Râ, qui vis le Nil s'écouler durant de nombreuses lunes, durant de très, très nombreuses lunes, je suis le jeune faon de la morne contrée.
16
J'instaurerai ma danse dans vos conventicules, et mes amours clandestins seront plaisants parmi vous.
17
Tu auras un amoureux parmi les seigneurs de la morne contrée.
18
Cela il t'apportera, cela sans quoi tout est en vain; la vie d'un homme par amour de toi répandue sur Mes Autels.
20
Que ce soit sous peu, Ô Dieu, mon Dieu ! Je souffre de Toi, j'erre totalement seul au milieu du peuple dément, dans la morne contrée de la désolation.
21
Tu instaureras l'abominable et solitaire Créature de méchanceté. Oh joie ! de poser cette pierre d'angle!
22
Elle demeurera érigée sur la haute montagne; seul mon Dieu s'entretiendra avec elle.
23
Je la bâtirai d'un unique rubis; elle sera vue de loin.
24
Allons ! irritons les vaisseaux de la terre : ils distilleront un vin étrange.
25
Cela croît sous ma main : cela recouvrira tous les cieux.
26
Tu te trouves derrière moi : je crie d'une joie démente.
27
Alors parla Ithuriel le puissant; adorons Nous aussi cette invisible merveille!
28
Ils firent ainsi, et les archanges traversèrent promptement les cieux.
29
Êtrange et mystique, tel un prêtre jaune invoquant la puissante trajectoire de grands oiseaux gris venus du Nord, ainsi je me tiens et T'invoque!
30
Qu'ils n'obscurcissent point le soleil de leurs ailes ni de leur clameur!
31
Emporte la forme et sa suite!
33
Tu es semblable à une orfraie au milieu d'une rizière, je suis le grand pélican rouge dans les eaux du soleil couchant.
34
Je suis pareil à un noir eunuque; et Tu es le cimeterre. Je tranche la tête du faible, du traître au pain et au sel.
35
Oui ! je frappe - et le sang crée pour ainsi dire un coucher de soleil sur le lapis-lazuli de la Chambre à Coucher du Roi.
36
Je frappe. Le monde entier est résolu en un vent formidable, et une voix s'élève, dans une langue que les hommes ne peuvent parler.
37
Je connais cet effroyable son de joie primitive; suivons les ailes de la tempête jusqu'en la demeure sacrée d'Hâthor; offrons les cinq joyaux de la vache sur son autel!
38
De nouveau la voix inhumaine!
39
Je cabre ma masse de Titan contre les dents de la tempête, et je frappe et l'emporte, et je débouche au-dessus de la mer.
40
Il y a un étrange Dieu blême, un dieu de douleur et de mortelle méchanceté.
41
Ma propre âme mord en elle-même, comme un scorpion qu'entoure le feu.
42
Ce Dieu blafard au visage détourné, ce Dieu de raffinement et de rires, ce jeune Dieu dorique, lui je servirai.
43
Car le terme en est tourment indicible.
44
Mieux vaut la solitude de la grande mer sombre!
45
Mais quelque mal assaille le peuple de la morne contrée, mon Dieu !
46
Laisse-moi les étouffer sous mes roses !
47
Oh Toi Dieu exquis, sinistre sourire !
48
Je Te cueille, Ô mon Dieu, telle une prune violette sur un arbre ensoleillé. Comme Tu fonds dans ma bouche, Toi, sucre consacré des Êtoiles !
49
Le monde m'apparaît totalement morne; c'est comme une vieille outre usée.
50
Tout son vin se trouve sur ces lèvres.
51
Tu m'as engendré d'une Statue de marbre, Ô mon Dieu !
52
Le corps est glacial comme un million de lunes; il est plus dur que le diamant de l'éternité. Comment surgirai-je à la lumière ?
53
Tu es Lui, Ô Dieu ! Ô mon aimé ! mon enfant ! mon jouet ! Tu es comme un essaim de vierges, comme une foule de cygnes sur le lac.
54
Je ressens l'essence de la douceur.
55
Je suis dur et fort et mâle; mais Viens ! Je serais doux et faible et féminin.
56
Tu m'exprimeras dans le pressoir de Ton amour. Mon sang maculera Tes pieds ardents de litanies d'Amour et d'Angoisse.
57
Il y aura une nouvelle fleur dans les champs, un nouveau cru dans les vignobles.
58
Les abeilles composeront un nouveau miel; les poètes entonneront un nouveau chant.
59
J'aurai pour récompense la Douleur du Bouc; et le Dieu qui siège sur les épaules du Temps s'assoupira.
60
Alors tout ce qui est écrit sera accompli : oui, ce sera accompli.